La wicca et l’idolâtrie

Souvent associée au polythéisme et à la sexualité sacrée, l’idolâtrie est un sujet complexe à cerner et à définir. Ce n’est pas parce qu’une personne se prosterne devant une idole qu’elle est idolâtre, et inversement ce n’est pas parce qu’elle ne le fait pas qu’elle ne l’est pas. Selon ma compréhension des choses, l’idolâtrie est ce qui s’oppose à la mystique. La mystique consiste à développer son être intérieur (notre part qui est tournée vers le monde spirituel, animée par nos désirs altruistes), et à appréhender la religion avec celui-ci. L’idolâtrie consiste donc à appréhender la religion avec notre être extérieur (notre part tournée vers le monde matériel, animée par nos désirs égoïstes). Selon cette vision des choses, l’idolâtrie n’est pas propre à une religion ou à une autre, c’est une question de personne. Alors que le but de la religion est de se tourner vers les profondeurs de son être, l’idolâtre reste en surface. Ce qu’il devrait chercher en lui, il le cherche hors de lui.

Même si nous avons choisi de vivre le divin à l’intérieur, nous sommes toujours plus ou moins idolâtres, selon notre expérience. Ce n’est pas un problème, le tout est d’être conscient de nos limites. Comme idéal, je peux citer les pères du désert qui connaissaient le psautier par cœur pour pouvoir se maintenir en prière toute la journée en le récitant. De cette façon, ils ne dépendaient de rien d’extérieur, pas même d’un livre. Bien entendu, cet exemple est extrême, mais il nous remet à notre place et nous donne une direction.

Le polythéisme conduit-il plus facilement à l’idolâtrie que le monothéisme ? Dans le polythéisme, pour accéder aux recoins cachés de notre être, nous avons recours à des divinités à visages humains, dans le monothéisme, nous retrouvons le même système avec les personnages bibliques, les prophètes, les saints. Au vocabulaire près, ce n’est pas très différent, et il est tout à fait possible d’idolâtrer un personnage biblique tout autant qu’une divinité à visage humain.

Pour illustrer cela, voici l’avis de rabbi Michael Portnaar :

« Lorsque je me débarrasse de toutes les images, de l’intermédiaire entre le Créateur et moi, alors je vois la vérité du Créateur.

Lorsque nous parlons de Moïse – Moshé –, nous parlons de la force et jamais de la personne. L’intention ici n’a jamais été d’idolâtrer la personne. Quand vous idolâtrez Moshé, vous faites la même chose qu’avec les autres idoles ou intermédiaires. Le but est de faire croitre des forces en vous et de devenir en conformité avec ces forces »

Inversement, une personne qui se prosterne devant une idole, en comprenant que la fin de cette pratique est intérieure, n’a rien d’idolâtre. En réalité, il est bien plus risqué d’idolâtrer un prêtre qu’une statue, car il est plus risqué de chercher à exister à travers une personne qu’à travers une statue.

Qu’en est-il de la sexualité sacrée ? Encore une fois, c’est une question d’intention. Si elle est véritablement sacrée, libérée de la volonté de prendre et poussée par le seul désir du cœur, il ne s’agit pas d’idolâtrie. Le principal risque est, comme avec le prêtre, de chercher à l’extérieur ce qui est en nous. C’est pour cela que c’est une bonne idée d’aborder la sexualité sacrée par la masturbation. Cela permet de comprendre que cette faculté est en nous et que nous n’avons besoin de personne pour l’atteindre. Cela permet de mieux assimiler l’amour au-delà de la raison, et avec cette expérience, il est plus facile d’être dans un désir de donner sans attentes. Si vous n’avez aucun contrôle sur votre désir de prendre, la sexualité sacrée vous conduira au chaos.

Un exemple classique d’idolâtrie est de penser que le matériel précède le spirituel.  Bien entendu, pour une raison ou pour une autre, le matériel peut être chargé de spirituel (lieux particuliers, outils consacrés, reliques, idoles …) Mais tout cela n’est pas nécessaire, ni une fin en soi. La présence de telles choses peut être une aide, mais si nous le désirons, et nous nous focalisons sur des choses matérielles, cela fortifie notre être extérieur et peut devenir un frein. Je pense au contraire que le but de la religion est de chercher le spirituel en soi pour l’insuffler dans la matière, par opposition au matérialisme où c’est la matière qui modèle l’esprit.

Cet aspect peut être un frein particulièrement fort dans le wicca. Du fait de son héritage occultiste, la wicca possède une dimension très formelle, un décorum important … Même si Gardner a toujours dit que cela n’était qu’une indication sur la façon de faire les choses, et qu’il fallait se sentir libre de pratiquer autrement, je pense que la wicca garde encore aujourd’hui cet héritage occultiste très fortement ancré en elle. Ce n’est en soi pas un mal, il faut seulement être conscient que l’important n’est pas dans le formalisme des choses.

Certains sujets sont à mon avis fortement liés à l’idolâtrie, pourtant ils sont rarement associés. Je pense en premier lieu à la morale. Le fondement de toute religion est d’apprendre à se tourner vers l’amour, et à naviguer sur la source de vie et éviter la pulsion de mort. Pour cela il faut développer certaines règles. Le problème est que ces règles fonctionnent au niveau de notre être intérieur et sont difficilement transmissibles avec des mots. Le risque est de tomber dans de la fausse morale qui est une forme d’idolâtrie. Une règle morale ne doit pas être vécue avec l’esprit, mais avec le cœur.

Pour illustrer cela, je vais prendre un exemple simple dans la wicca. Alors que la totalité des pratiques de la wicca est connue, écrite et diffusée, le plus souvent par Gardner lui-même, certains traditionalistes sont très pointilleux avec leur vœu de secret. Ces mêmes personnes sont souvent bien moins pointilleuses lorsqu’il s’agit de ragoter sur des choses intimes qui ont pu se passer dans le cercle.

La fausse morale est extrêmement dangereuse pour l’humanité dans le sens où une personne qui cherche la morale en surface, sans en comprendre l’essence, va être tentée de se prendre pour une référence morale et va chercher l’immoralité chez l’autre alors que le combat spirituel doit se mener à l’intérieur. Plus généralement, la vérité est intérieure et ne peut être transmise directement, c’est à chacun de la chercher en lui-même, ou pas, selon sa propre volonté. C’est ce phénomène d’idolâtrie morale qui conduit à l’inquisition et à toute forme de guerre de religion.

D’une manière plus générale, s’attacher aux différences des religions, alors que dans leur dimension interne, elles recherchent toutes la même chose, est une forme d’idolâtrie. Lorsque vous cherchez à recevoir l’Esprit saint, la shekinah, ou votre « moi supérieur », vous ne pensez pas qu’au-delà des mots, vous faites profondément la même chose ? Même si dans les apparences, tout les oppose, pensez-vous qu’un kabbaliste qui explore les profondeurs de daat soit si différent d’un yogi en samadhi ? Le kabbaliste dira qu’il se débarrasse des intermédiaires pour percevoir le créateur, le yogi parlera de se fondre dans le cosmos par l’extinction des souffles. Dans les deux cas, il s’agit d’arrêter le phénomène d’identification, de ne plus mouler son ego dans toutes les formes qui se présentent, de lâcher la forme des choses pour en atteindre le fond. À ce sujet, Gandhi a écrit « Si un homme atteint le cœur de sa propre religion, il atteint également le cœur des autres religions. » Même si nous avons tous un imaginaire différent, et des méthodes différentes, la contemplation demeure unique, et elle est le but profond de toute religion.

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