Les degrés de la wicca traditionnelle
mardi, avril 20th, 2010Dans mon article d’introduction au chamanisme, je faisais allusion au fait que lorsqu’on se lance avec assiduité dans des pratiques spirituelles, tôt ou tard les choses prennent une tournure désagréable et nos traumatismes enfouis remontent à la surface. J’ai reçu une question à ce sujet, et je me dis que c’est peut-être bien de préciser un peu le fond de ma pensée. Pour illustrer les choses, je vais prendre en exemple les phases du grand œuvre de l’alchimie et les degrés dans la wicca.
La vision alchimique « idéale »
Le grand œuvre de l’alchimie est constitué des trois phases, l’œuvre au noir (nigredo), l’œuvre au blanc (albedo); et l’œuvre au rouge (rubedo).
L’œuvre au noir correspond justement au phénomène que je décris. Sous la chaleur du feu que l’alchimiste allume, la prima materia entre en putréfaction et se décompose. L’analogie est assez simple à comprendre, lorsqu’on tente d’éveiller la spiritualité en soi, nos troubles latents se retrouvent exacerbés.
Pendant l’œuvre au blanc, phase de purification, l’alchimiste lave et relave les scories issues de l’œuvre au noir avec de l’eau très pure. Là encore l’analogie n’est pas si complexe à comprendre, après s’être enfoncé profondément dans l’ombre, on découvre qu’on possède également la lumière propre à nous faire sortir de cette ombre. C’est pour cela que je précise l’importance de prendre conscience que la spiritualité est avant tout une affaire de guérison.
Arrivé à ce stade, on pourrait penser que les choses vont devenir simples, mais c’est loin d’être le cas. On découvre que la purification n’a rien de définitive, et on retombe sans cesse dans des cycles ombre / lumière. À ce moment il faut accepter que l’ombre fait partie de nous, et que toutes les purifications du monde ne nous en débarrasseront jamais. En alchimie on trouve parfois une phase intermédiaire entre œuvre au blanc et œuvre au rouge, l’œuvre au jaune (citrinitas). Je pense que cette phase correspond au temps nécessaire à cette prise de conscience.
Lors de l’œuvre au rouge, l’alchimiste cherche à combiner les éléments qu’il a obtenus suite à l’œuvre au blanc pour les stabiliser. Encore une analogie relativement simple, après avoir compris que l’ombre est une composante fondamentale de notre esprit, il faut trouver le moyen de l’accepter, de l’intégrer, pour retomber de moins en moins dans des phases d’ombre et trouver enfin une unité spirituelle stable. Il faut comprendre que ce qui par moment peut ressembler à de la pure folie est en chacun de nous, et que cela est également la source de notre inspiration. Plus on le refoule ce fait, plus on est perturbé. Plus on l’accepte, plus il devient un moteur.
Dans la wicca traditionnelle
La wicca traditionnelle est partagée en trois degrés. Cette organisation est assez classique dans de nombreux groupes initiatiques, et reprend l’évolution de la transformation alchimique. Le but derrière cela est de tenter d’accompagner les personnes qui en font le choix, sur le chemin de cette transformation. Bien entendu, ce balisage du chemin spirituel est très souvent mal compris et cette tentative d’accompagnement est maladroite. Par exemple lors de la nigredo, l’alchimiste prépare la prima materia pendant environ six mois avant d’allumer le feu qui va déclencher la dissolution, celle-ci pouvant durer des années. Mais pour de nombreux occultistes, la nigredo se termine après ses six premiers mois et sa fin est vue comme une mort/renaissance instantanée.
C’est cet effet précis qui est recherché dans le rituel d’élévation au second degré, à travers la légende de la déesse. Dans cette histoire, il est question de descente aux enfers, de mort et de renaissance. L’élévation au second degré est le meilleur moyen que je connaisse pour déclencher de façon systématique la « claque » dont je parlais. Pour toutes les personnes que j’ai pu rencontrer, le second degré a entraîné un gros remue-ménage. Cela peut paraître étonnant, car à part pour le troisième degré lorsque le grand rite est effectif, il n’y a aucun élément permettant d’atteindre un état modifié de conscience de façon systématique dans les rituels d’initiation de la wicca traditionnelle. Le fait d’être attaché et fouetté est la méthode centrale d’induction de transe de la wicca Gardnerienne. Pourtant, il est précisé dans les rituels, de ne pas serrer les liens lors de l’initiation car le contrôle du sang n’est pas voulu. Il est également expliqué que la flagellation doit être symbolique, car la transe n’est pas recherchée, et seul le dernier coup doit être un peu cinglant. En clair, ces rituels ne sont qu’une mise en scène théâtrale, et tout ce qu’il peut se passer pendant et à la suite d’un tel rituel n’est que le fruit de la suggestion et de l’auto-suggestion. Et pourtant, ça marche.
Enfin, la descente aux enfers fonctionne assez bien, mais rien n’est prévu pour la remontée. Dans la wicca alexandrienne, c’est assez différent. L’accent est mis sur l’apprentissage de techniques de guérison pendant le premier degré, et le second degré n’est donné que lorsqu’une personne maîtrise ces techniques. Cela peut être vu comme une dérive pour rendre les gens dépendant en ne donnant pas les degrés, mais ce n’était pas le cas dans le coven de Sanders (par contre, cette dérive a lieu dans divers covens alexandriens). Je pense que malgré toutes les choses négatives qui ont pu être dites sur Sanders, il savait où il allait et son approche était beaucoup moins approximative que celle de Gardner (certaines de ses grandes prêtresses ont reçu le troisième degré en quelques jours, sans aucune préparation).
À partir du second degré, la wicca traditionnelle adopte une vision de l’alchimie très Jungienne. En effet selon Jung, l’albedo correspond à la recherche de l’anima pour l’homme, et de l’animus pour la femme, et à partir du second degré, on pratique descente de la lune/soleil (ou l’invocation de Cernunnos selon les rituels). Lorsqu’on étudie l’évolution du livre des ombres à travers les époques, cela paraît flagrant que Gardner a créé la wicca avant tout pour lui même et qu’il y met en scène ses fantasmes. Dans la version de 49, il est toujours question d’un homme qui initie une femme, d’une femme qui flagelle un homme, … À travers de nombreux détails, on se rend compte que le côté « centré sur le féminin » semble bien moins évident que l’on pourrait croire en premier lieu. On peut penser que Gardner cherchait à régler son conflit des genres à travers des expériences liées au féminin sacré.
Toujours selon Jung, la rubedo consistait à réaliser en soi la fusion des principes masculins et féminins pour trouver l’unité du Soi. C’est ceci qui est recherché dans la wicca traditionnelle à partir du troisième degré à travers le grand rite, l’union sexuelle de la wicca. Personnellement je trouve que la résolution du rapport anima/animus est trop centrale dans la vision alchimique de Jung. Elle l’est encore plus dans la wicca traditionnelle. Je ne dis pas que ce n’est pas important, mais c’est loin d’être le seul problème à résoudre, et ce n’est pas toujours le plus complexe. Mais au-delà de cette considération, ce qui manque le plus à la wicca Gardnerienne est une méthode de guérison digne de ce nom que l’on apprendrait dès le premier degré. Parce que se faire attacher et fouetter en attendant que la guérison vienne, ça n’a jamais été une méthode très efficace 🙂
En conclusion
Je ne cherche pas à dessiner une vision noire de la spiritualité, ni à décourager qui que ce soit. Au contraire, je pense que l’aventure spirituelle est une belle chose qui mérite d’être vécue. En tout cas, elle l’est quand on est conscient des désagréments que je viens d’évoquer, que l’on sait que tout cela est normal, qu’il n’y a pas lieu d’avoir peur ou de se sentir perdu. L’ésotérisme de grand papa a la vie dure, et vous entendrez souvent que telle pratique est dangereuse, qu’il faut faire attention à ceci ou cela, … Mais en réalité cela ne fonctionne pas comme ça. Quand on apprend à marcher, il faut s’attendre à tomber un certain nombre de fois. Plus on a peur, plus on se raidit, et plus on tombe. Et moins en apprend à marcher. Si vous vous lancez dans une quelconque pratique spirituelle, soyez conscient du fait qu’un jour ou l’autre, vous allez tomber, et préparez-vous au mieux à cela en développant des techniques de purification et de guérison qui soient fonctionnelles.